Galerie de tableaux

Jean Gebelstein à propos des tableaux de Claire Degans

C’est à un voyage bien singulier dans la lumière que nous invite Claire Degans ; cette lumière qui filtre, comme d’une soie transparente et qui serait par endroits déchirée, où se déploient les teintes mordorées, sépia, brunes, roses, jaunes ou rouges. Leur douceur fine, telle une laque à la souplesse de cire, émane imperceptiblement de la toile et leur magie opère grâce à la finesse de sa vision.

Tout se passe comme si Claire Degans était capable d’accommoder en même temps la transparence des lointains et les détails qu’on ne perçoit que de très près. Elle en joue fort bien, au point que se découpent les arbres et les couleurs en une superposition fort habile. Ses tableaux de ce fait, apparaissent un peu comme des collages de couleurs.

Mais ces peintures ont bien d’autres caractéristiques :
La lumière s’y diffuse comme d’un paysage d’Extrême-Orient saturé de l’humidité ambiante, et crée des paysages de pluie d’une grande expression onirique, où le rêve se révèle non seulement comme l’activité du sommeil et qui produirait des images fantasmagoriques, mais comme une recomposition du réel, où l’imaginaire prend autant de place que la réalité.
Lumière du rêve donc, mais pas seulement ; elle est aussi celle du souvenir, qui déjà s’estompe et que le peintre tente de saisir dans son épuisement, où les images se nourrissent de l’actuel et du passé ; et où l’artiste fait coïncider le témoignage de ce qu’elle voit avec ce que deviendra son souvenir lorsque l’image sera passée : en d’autres termes, elle semble peindre immédiatement l’image du souvenir de ce qu’elle peint ; c’est ce qui donne cette impression très particulière à sa peinture, au point qu’on pourrait parler d’une peinture de la mémoire à venir.

C’est pourquoi elle teinte ses toiles de cette patine du temps qui passe où déjà subrepticement s’enfonce le présent dans la mémoire des yeux. C’est sans doute la raison de l’utilisation des demi-teintes, plus évocatrices de cette ambiance que ne le seraient des tons plus francs.

C’est de là que naît la magie de sa peinture et grâce à cette alternance de la diffusion et de la netteté qu’elle trouve sa véritable dynamique ; l’œil s’y satisfait, qui passe sans cesse de l’une à l’autre, car le peintre nous convie de fait à la découverte d’une perspective curieuse : les objets les plus proches ne sont ainsi pas forcément les plus nets ;

En outre, ses paysages ne sont pas directement éclairés, mais baignés de lumière comme il sont baignés d’humidité, même si cette lumière, diaphane, est extrêmement diffuse. La lumière de sa peinture provoque ainsi un éblouissement particulier, non par la saturation rétinienne mais par la nuanciation qu’elle sait trouver entre les teintes.

A ce titre la contemplation des petits formats est exemplaire ; la lumière ni le contraste n’en sont absents, mais l’artiste nous incite à recréer un nuancier de luminosités, à travers lesquelles puisse se repérer notre regard. Ces petits tableaux nous apprennent autre chose : la précision du trait, comme sa diffusion sont totalement maîtrisés, et démontrent l’efficacité qu’ils produisent sur les plus grandes toiles exposées.

Nous touchons là une réalité incontournable de l’expression du talent : il ne peut se manifester que si lui préexiste un savoir faire, (définiton sémantique de l’art), et donc du travail.
Nul doute que Claire Degans lui sacrifie une part non négligeable de son temps, tant sont fines et précises les toiles qu’elle nous offre dans cette exposition.
C’est ce qui nous fait venir et revenir vers ses œuvres sans lassitude, et craindre qu’elles ne s’évanouissent  déjà dans notre souvenir…