Plaidoyer pour le bonheur

 

 Une œuvre d’art nous attire-t-elle parce qu’elle nous choque ou parce qu’elle nous nourrit ?

Je me suis récemment posé cette question en découvrant les œuvres d’une artiste ayant fait polémique récemment pendant son exposition au Palais de Tokyo.

Exposer l’horreur, c’est parfois une chose nécessaire, et Guernica, dans les années 30, a joué un rôle important dans la perception que l’opinion publique a eu de la guerre d’Espagne. Mais n’y a–t-il pas depuis quelques décennies, une surenchère du vide, du laid et du souffrant ? Et quelle place laisse-t-on à d’autres représentations du monde, plus positives et inspirantes ?

 

Avec la figure de l’artiste maudit, apparue au 19eme et 20eme siècle, le milieu de l’art a petit à petit légitimé le sombre et le douloureux (on pense à Baudelaire, Artaud ou Van Gogh par exemple) pour finir par arracher, à l’orée des années 60 la part de beauté qui restait à ces ténèbres. Car il semblerait que l’art contemporain, qui émerge à cette époque, soit là avant tout pour nous faire réfléchir. La beauté, considérée comme réactionnaire et bourgeoise, et la joie de vivre, beaucoup trop populaire sont montrées du doigt ; il faut tuer simultanément le père et le peuple. Cette névrose occidentale des élites nous a sans doute fait passer à côté d’œuvres merveilleuses mais irrecevables du point de vue des critères autorisés.

 

Or, dans un monde de chaos, il me semble que nous avons besoin d’îlots de beauté et de sérénité pour ne pas sombrer et pour nous souvenir qu’un autre monde existe. L’invitation à renouer avec une certaine harmonie peut permettre l’émergence d’un monde meilleur et inciter chacun à exprimer ses plus hautes aspirations ; n’est-ce pas le moment?

 

J’ai parfois le sentiment de vivre dans une société qui veut nous désespérer, dans laquelle toute forme d’idéal a été soigneusement gommée. Le paradoxe étant que l’injonction à nager dans le bonheur n’a jamais été aussi forte ! Nous sommes quotidiennement invités à goûter tous les plaisirs de la vie et à exposer notre réussite ; c’est l’« happycratie » dont parle Eva Illouz, dérive néolibérale d’un monde qui a perdu le lien au sacré.

 

On peut se demander quelle place auraient à notre époque des peintres comme Bonnard, Gauguin ou Matisse ? leur talent serait-il célébré ou seraient-ils rangés dans la catégorie des ringards?

Se plonger dans un tableau de Matisse, c’est appréhender de façon sensible et authentique une idée du bonheur, non dénuée d’une forme de mélancolie.

Ces artistes à la grande sensibilité ont su pointer vers une autre réalité alors même qu’ils vivaient des épisodes douloureux de leur existence. Bien que la souffrance les ait envahis à un certain moment, ils n’ont pas quitté du regard une certaine lumière et ont fait le choix - loin de toute facilité - de partager leur émerveillement.

Ces peintres ont su entrevoir une présence et la redonner au monde ; et à la différence des recettes frelatées du « business du bonheur » destinées à combler notre vide, cette promesse a le pouvoir de nous nourrir intérieurement de façon durable…

 

 Pour découvrir les oeuvres

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